Dans la foulée du Pacte pour un enseignement d’Excellence, la Fédération Wallonie Bruxelles a annoncé en juin dernier la dissolution de sa cellule Culture-Enseignement remplacée de facto par une cellule de pilotage du PECA. Le PECA (pour Parcours d’éducation culturelle et artistique) vise à offrir à chaque élève de l’enseignement belge francophone l’intervention d’au moins un opérateur culturel par an au sein de sa classe, soit à combler les disparités très importantes d’un territoire où par exemple un élève de Bernissart dans le Hainaut ne bénéficie pas des mêmes propositions de sorties, de visites, d’ateliers en classe qu’un élève de la région bruxelloise. Il s’agit donc théoriquement d’inciter associations, animateurs, artistes intervenants, enseignants et écoles à étendre leur rayon d’action en visant particulièrement les zones blanches. Soit. Comment ne pas applaudir à de tels objectifs ?
Cependant, si le budget global de la culture à l’école a été sensiblement augmenté en vue de cette nouvelle orientation, la « couverture universelle » des besoins ne peut manifestement être assurée qu’en limitant le subside octroyé par la Fédération à 12€50 par élève par an. C’est peu. Mis en forme d’appel à projets, cela représente concrètement un budget salarial de 2000€ pour l’emploi d’un-e animateur-trice ou d’un-e artiste intervenant-e qui devra se déplacer dans trois classes minimum pour un atelier comprenant impérativement un volet théorique, un volet pratique et une sortie hors les murs de l’école. Au tarif plancher de 50€/h, comptez trois courtes demi-journées par classe, une intervention au pas de course.
Il n’est évidemment pas interdit aux associations, musées, salles de cinéma, centres culturels concernés de compléter cette donne à l’aide de subsides dits structurels. Mais outre que les dites structures sont relativement peu nombreuses, on note qu’elles n’y sont guère encouragées. La philosophie générale de la réforme semble être qu’il vaut mieux intervenir peu et partout plutôt que suffisamment dans trop peu d’endroits. C’est donc la fin du soutien par la Fédération d’interventions dans les écoles étendues sur une durée d’un mois et demi, six mois voire sur toute une année scolaire comme Smala cinéma les propose depuis 18 ans.
Smala cinéma a donc eu le triste honneur de faire partie de la dizaine de structures reconnues au fil des ans comme « partenaires privilégiés » par la Fédération, à se voir signifier en juin la suppression pure et simple de cette reconnaissance et du subside de 25 000€ qui aurait dû servir à poursuivre notre projet On se fait notre cinéma! en ce mois de septembre. Après un été douloureux où la cellule du PECA aura jusqu’à la dernière minute laissé planer le doute sur d’éventuels lots de consolation, le couperet est tombé : il faut s’adapter, intégrer nos activités à la nouvelle philosophie et donc aux contraintes des nouveaux appels à projets ou trouver ailleurs les financements de notre activité.
Par chance, une partie du budget de notre proposition est encore financée par la COCOF (La Culture a de la classe) à hauteur d'un tiers du budget global. En complétant cette somme autant que nous le pouvions (depuis 2016, Smala cinéma ne bénéficie plus d’un subside structurel) nous avons réussi à maintenir On se fait notre cinéma! pour cette saison avec 5 classes au lieu des 10 prévues.
Nous ne sommes pas la seule association à devoir ainsi réduire notre activité en dernière minute suite à ce changement de politique quelque peu soudain. Le format extrêmement court des interventions qu’on nous demande ne correspond ni au contenu ni à la philosophie de ce que nous faisons. D’autres pratiques artistiques s’y prêtent peut-être. Faire du cinéma demande un minimum de temps, sauf à faire semblant.
La manière et le fond de cette réforme nous donnent une impression de gâchis. La mise en oeuvre du PECA qui a précédé d’un an la révélation officielle des changements concrets a semble-t-il coûté beaucoup d’argent (en réunions et communication surtout) et d’énergie pour accoucher d’un laminoir. On traite sans aucun discernement des activités existantes, mises en place par des structures extrêmement diverses avec une brutalité qui ne laisse aucune possibilité pour des associations comme la notre d’adhérer en quoi que ce soit à la mise en oeuvre de toutes ces louables intentions. Lesquelles intentions sont d’ailleurs directement inspirées de directives européennes aussi discutables que peu débattues : en terme de culture et d’art, les conclusions du Conseil européen du 11 mai 2012 préconisaient surtout de renforcer les qualités entrepreneuriales des jeunes en les rendant "plus créatifs" et plus employables. Nous y voilà. Nous estimions travailler suivant un tout autre héritage lié surtout à l’éducation populaire et à un idéal d’émancipation collective dont la philosophie ne peut être mieux résumée que par la formule connue d’Antoine Vitez : il faut être élitiste pour tous. A cette condition, il serait encore possible de ne pas opposer quantité et qualité et de ne pas distribuer des miettes en lieu de pain.
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